
Le 12/14 de juin s’est tenu à la maison des associations de Grenoble le 10 juin dernier pour clore la série de ces temps d’information et d’échanges de l’année. Il était consacré à la question des impayés de loyers engendrés par les suspensions et ruptures de droits.
In fine, ce que l’on retient c’est le surcroît d’investissement humain indispensable pour accompagner les publics en difficulté face à la complexité du fonctionnement administratif d’une aide sociale si nécessaire à la vie en société. Et qui dit temps passé, dit financement induit donc charges financières supplémentaires à trouver pour les bailleurs sociaux comme pour les associations. Un 12/14 qui illustre à quel point la situation sociale se dégrade.
Retour sur cas illustratif, présenté par Aude Moussaoui, travailleuse sociale à Un Toit Pour Tous.
Une femme seule avec 5 enfants, titulaire d’un titre de séjour, bénéficiant d’une mesure Accompagnement vers et dans le logement (AVDL). En mars 2024, elle est dans une situation équilibrée et son reste à vivre est correct grâce à une aide FSL (1), l’APL (2) et la RLS (3). À l’échéance du titre de séjour, le rendez-vous pris à la préfecture est annulé et reporté après l’échéance entrainant la suppression de l’APL et de l’allocation chômage. Un nouveau rendez-vous est accordé en juin mais sur un site d’administration numérique (4) et pour sa demande enfin enregistrée le 1er juillet le récépissé n’arrive que début octobre. Pendant ce temps toutes les aides ont été supprimées et ne reprendront qu’au mois de janvier suivant. Une année de difficultés et une dette restante à résorber.
L’état des lieux
Comme le rappelle Marie Guillaumin, responsable de l’Observatoire de l’hébergement et du logement, 95% des procédures d’expulsion sont liées à des impayés. Certains sont liés à des ruptures de vie et peuvent être gérés dans la phase amiable du processus d’expulsion. D’autres peuvent être liés à des blocages ou difficultés administratives qui entrainent des suspensions et/ou ruptures de droits donc des ressources qui disparaissent et par voie de conséquence des impayés de loyers :- Les retards pris par la préfecture pour les rendez-vous (retards de 1 à 4 mois) entrainent des non-renouvellements de titres de séjour. Une enquête menée par la Coordination Bouge Ta Préf 38 sur une durée de 10 jours en 2024 et portant sur un échantillon de 400 personnes faisant la queue devant la préfecture sans pouvoir y entrer a montré que le non-renouvellement de leur titre de séjour a entrainé une perte d’emploi pour 56 personnes.
- La cessation de l’Aide au logement (APL) en cas d’impayé qui aurait dû être néanmoins maintenue pendant le traitement de l’impayé. Cette perte s’élève à 40% du loyer dans le secteur privé et 58% dans le secteur public.
- La contemporanéisation de l’aide (aide calculée tous les 3 mois sur les ressources des 12 derniers mois) entraine une instabilité des situations.
- La dématérialisation accrue des démarches et la raréfaction des interlocuteurs peuvent induire des difficultés de compréhension pour le bénéficiaire potentiel et des erreurs préjudiciables pour lui.
- La réclamation de pièces supplémentaires entraine des délais de traitement si longs qu’ils peuvent mettre les ménages dans des situations difficiles.
Des outils pour éviter la spirale perte des aides-impayés : l’expérience du bailleur social ACTIS (5)
Marylène David, responsable du service contentieux présente le dispositif « Toujours maintien » mis en place pour accompagner toute procédure en lien avec tous les autres acteurs sociaux concernés et comportant des mesures spécifiques pour renforcer son action. En effet l’impayé de loyer a des effets désastreux pour le locataire qui voit l’endettement s’accroître : réduction de la RLS, absence de rappel APL, alors que les charges sont toujours à régler. Si le bail est en cours, une période conservatoire de 6 mois permet de garder l’APL et de travailler à un plan d’apurement ; mais la plus grande difficulté est de joindre les locataires… Si le bail est déjà résilié, un protocole de cohésion sociale permet de suspendre la procédure d’expulsion, pendant 24, voire 36 mois, le temps d’apurer la dette. Par exemple dans le cas de rupture de titre de séjour. Mais Marylène souligne aussi les conséquences pour le bailleur : une lourde gestion administrative à cause des relations nombreuses avec d’autres acteurs (en particulier avec la CAF), ce qui entraine un investissement important en temps et donc des problèmes de financement.Le témoignage de Romain Mathieu, travailleur social à Un Toit Pour Tous
Romain confirme tout ce qui a été évoqué précédemment sur les problèmes administratifs, les blocages institutionnels. Mais il insiste aussi sur :- Les évolutions de ces dernières années marquées par un renforcement des contrôles, le croisement des fichiers (CAF, CPAM, URSSAF etc.), la digitalisation accrue et la diminution de l’accueil, des déclarations de ressources de plus en plus compliquées, une certaine instabilité des conditions d’aides qui rend la recherche d’information de plus en plus longue.
- La dématérialisation couplée à une administration complexe n’est pas adaptée à bien des ménages accompagnés car ils ont souvent besoin d’un interlocuteur pour démêler plus efficacement les arcanes administratifs. Le système est fait pour la majorité dont nos publics ne font pas partie.
- Le travailleur social est un « passeur » qui centralise les informations, aide à comprendre les démarches, assure une veille sur les évolutions administratives incessantes et apaise le stress et l’anxiété générés par ces situations.
- Au cœur d’un réseau, il sert d’intermédiaire entre les publics et les institutions pour coordonner les démarches. Mais, alors que nous avons le souci de « faire avec » il faut parfois « faire à la place » quand c’est trop compliqué, et aussi parce que parfois, on nous traite mieux que les publics eux-mêmes. Et on constate que l’accompagnement au logement s’élargit rapidement à un accompagnement aux droits.
- Et parfois on se heurte aux difficultés liées à la propre mise en route de la personne.
In fine, ce que l’on retient c’est le surcroît d’investissement humain indispensable pour accompagner les publics en difficulté face à la complexité du fonctionnement administratif d’une aide sociale si nécessaire à la vie en société. Et qui dit temps passé, dit financement induit donc charges financières supplémentaires à trouver pour les bailleurs sociaux comme pour les associations. Un 12/14 qui illustre à quel point la situation sociale se dégrade.
- FSL : Fonds de solidarité logement
- APL : Aide personnalisée au logement
- RLS : réduction du loyer de solidarité : aide de l’État mise en place depuis février 2018 afin de diminuer le montant du loyer des foyers les plus précaires
- ANEF : Administration numérique pour les étrangers en France
- ACTIS : Acteur de l’immobilier social à Grenoble