A l’occasion des 6e Rencontres d’Un Toit Pour Tous dont il était le grand témoin, l’équipe d’Un Toit Pour Tous a pu rencontrer Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation pour le logement des défavorisés et lui poser quelques questions.
Quelles sont les difficultés que rencontrent les personnes modestes ou fragiles pour accéder à un logement et s’y maintenir ? Et en quoi ces difficultés sont-elles aujourd’hui particulièrement préoccupantes ?
Cela se voit d’une part, avec le nombre de personnes qui sont aujourd’hui sans domicile : 350 000 en France. Un million de personnes qui sont, soit sans domicile, soit hébergées par un tiers de manière contrainte, et qui aimeraient avoir un logement à elles et qui ne l’ont pas. Ce sont des chiffres qui sont en augmentation assez forte ces dernières années. C’est la marque d’une pénurie d’hébergements, de logements sociaux, et de logements en général. Cela veut dire des personnes qui, pendant des années, tournent en hébergement d’urgence, à l’hôtel, un peu à la rue, dans des squats, ou qui sont hébergées chez des amis, des parents. Cela veut dire qu’on ne peut pas se lancer dans la vie. C’est cela, le principal problème.
D’autre part, on voit aussi qu’il y a des personnes qui n’ont pas de logement parce qu’elles l’ont perdu, c’est la problématique des expulsions locatives. Depuis les années 2000, on voit une montée des impayés parce que les loyers sont trop chers. Nous en sommes désormais à 24 000 expulsions locatives en 2024, un record historique. Ces personnes sont expulsées, elles arrivent dans un espace qui est totalement embouteillé parce que les demandes de logements sociaux n’ont jamais été aussi importantes. Aujourd’hui, ce sont 2,8 millions de ménages qui attendent un logement social. Il n’y a jamais eu aussi peu d’attributions de logements sociaux, parce qu’il y a peu de production, parce qu’il y a peu de rotation dans le parc. Les personnes sont en file d’attente pendant des années et des années…
Enfin, il y a aussi la qualité du logement, mais qui a plutôt tendance à s’améliorer sur le long terme. Les techniques de construction, de rénovation sont meilleures. La France est un pays qui, globalement, s’enrichit, mais on voit quand même une montée depuis 2020 de la précarité énergétique. La question des prix de l’énergie se pose fortement avec des personnes qui ont froid chez elles l’hiver et chaud l’été. C’est une problématique qui n’est pas prête de s’arrêter.
Quel est le rôle des collectivités locales en matière de logement ? En quoi peuvent-elles contribuer à répondre aux difficultés évoquées précédemment ?
C’est compliqué… Les responsabilités en matière de logement sont dispersées entre de nombreux d’acteurs publics et privés. L’État a un rôle important. Il vote les budgets, les normes, les lois… Actuellement, les budgets les plus importants sur le logement, ce sont les aides personnelles au logement, les aides à l’investissement locatif privé et les aides au HLM.
C’est l’État, ce sont donc les députés qui gèrent cela. Les élus locaux subissent les aléas, les stop and go. Ils ont, néanmoins, de plus en plus de moyens. Depuis la décentralisation de 1982, l’urbanisme est attribué aux communes permettant de construire un plan local d’urbanisme. Ensuite, on observe une montée en puissance des intercommunalités, avec la délégation des aides à la pierre. Les départements doivent aussi jouer un rôle renforcé en portant la politique sociale avec l’accompagnement des ménages en difficulté. Par ailleurs, les attributions de logements sociaux sont de plus en plus entre les mains des intercommunalités. C’est cela, le mouvement. Mais c’est un mouvement qui est entravé, personne ne veut lâcher complètement ses compétences. Parce que les compétences en logement, c’est à la fois aider ses citoyens, ses administrés, mais c’est aussi une manière d’avoir du pouvoir localement. Attribuer un permis de construire en logement social, c’est un pouvoir dont les maires ne veulent pas se départir.
Nous ne sommes pas trop pour un pouvoir trop fort des maires dans le logement, on est plutôt pour que l’intercommunalités porte cette compétence. Parce que les maires – et ils sont nombreux en France, 35 000 – peuvent avoir une tendance à garder les avantages et à renvoyer vers les communes voisines les problèmes : le logement social, les places d’hébergement… C’est pour cela qu’il existe des mécanismes de péréquation financière et de péréquation des places d’hébergement, du logement social, pour éviter que tout se retrouve concentré toujours au même endroit.
Par conséquent, il y a besoin d’avoir des élus locaux qui soient engagés, qui votent des budgets pour aider les bailleurs sociaux, qui soient engagés en faveur des personnes à la rue, qui votent aussi des budgets pour rénover les logements et notamment les logements sociaux. Or, les collectivités sont asphyxiées financièrement ces dernières années.
En ce sens, quelles propositions vous semblent prioritaires dans le cadre de la campagne électorale du printemps prochain ?
Il y a des propositions de bon sens : davantage de logements sociaux, davantage de logements très sociaux, parce que c’est là que se situent les besoins des personnes qui sont en attente de HLM.
Nous menons une campagne sur l’encadrement des loyers. Nous pensons que c’est l’une des rares mesures qui permettent de modérer le niveau des loyers. Ce n’est ni l’État, ni les collectivités qui mettent de l’argent : on dit aux bailleurs, « écoutez, vous ne pouvez pas aller trop loin. Vous êtes déjà très riches, les locataires sont très pauvres, il faut arrêter de vouloir imposer des loyers aberrants ».
Il faut donc fixer un plafond, qui restera de toute façon assez important. Et là, il faut que les collectivités s’en emparent. Il faut surtout que les parlementaires votent la pérennisation de ce dispositif – aujourd’hui appliqué dans 69 communes – qui s’arrête en novembre 2026. C’est un vrai danger. On pense que les élus locaux, les municipalités, ont un rôle à jouer pour mettre la pression sur l’État et dire, « on ne va pas arrêter là ». Sinon, ce serait une catastrophe pour les locataires.