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Décryptage de la loi immigration du 19 décembre 2023

Un Toit Pour Tous analyse le texte et les conséquences de l’application de certaines dispositions sur le secteur du logement et de l’hébergement pour les plus démunis.

 

La loi immigration du 19 décembre 2023 contient un certain nombre de mesures qui vont fortement affecter les demandeurs d’asile, comme les étrangers installés légalement sur le territoire français. Leur vie va devenir encore plus difficile, voire impossible. Un Toit Pour Tous analyse dans ce texte celles qui concernent l’hébergement, le logement et la protection sociale. D’autres, qui sont de la même inspiration, tout aussi impactantes, ne sont pas évoquées ici[1].

Certaines dispositions présentées ci-dessous ont été censurées par le Conseil constitutionnel le 25 janvier dernier. On peut s’en réjouir. Mais il ne faudra pas oublier qu’une majorité de députés a voté, en décembre 2023, une loi mettant en avant la préférence nationale, bafouant les valeurs de fraternité et de dignité.

 

1 – Présentation des mesures de la loi concernant l’hébergement et le logement

 

  • De nouvelles restrictions d’accès à l’hébergement

 

Une remise à la rue immédiate pour les étrangers déboutés : le nouveau texte de loi prévoit la suppression du délai d’un mois qui permettait aux personnes déboutées de leur demande d’asile de prendre leurs dispositions pour quitter leur lieu d’hébergement. Les personnes seraient donc contraintes de sortir immédiatement de leur hébergement dès lors que la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) est négative – sauf décision du Préfet.

Le droit inconditionnel à un hébergement remis en cause : la loi prévoit d’exclure les personnes déboutées de leur demande d’asile ou faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire, de l’accès au dispositif d’hébergement d’urgence – sauf circonstances exceptionnelles – ce qui remet en cause le principe d’inconditionnalité de l’hébergement en vigueur[2]. Par ailleurs, une telle décision porte atteinte au principe républicain[3] de dignité des personnes humaines.

 

  • L’impact de la nouvelle loi sur le logement et la protection sociale des étrangers

 

Une application limitée du Droit au logement opposable (DALO) : avec la nouvelle loi, l’accès à ce droit sera limité aux personnes étrangères (non ressortissant de l’Union européenne) qui résident en France depuis au moins cinq ans ou justifient d’une activité professionnelle en France depuis plus de trente mois. Alors qu’aujourd’hui l’accès au DALO est conditionné par le fait d’être en situation régulière attestée par un titre de séjour[4].

Une réduction de l’obligation de construire des logements sociaux. La loi SRU a été votée en 2000 pour favoriser la production de logements sociaux et agir sur l’équilibre territorial de l’offre de logements abordables, dans un contexte de crise du logement qui ne cesse de s’amplifier. Cette obligation, faite aux communes, contribue à la production d’un logement social sur deux. C’est dire son importance. Avec la nouvelle loi, les places en centres d’accueil pour demandeurs d’asile et réfugiés (CPH, CAES, HUDA) entreront dans le décompte des logements sociaux. Ce qui conduira à réduire d’autant la production de logements sociaux familiaux pourtant indispensables, en particulier pour accueillir les personnes hébergées des structures d’accueil.

Une restriction considérable de l’accès à l’aide personnelle au logement (APL) : aujourd’hui peuvent bénéficier des APL les personnes de nationalité française ainsi que les personnes de nationalité étrangère titulaires d’un titre de séjour. Le nouveau texte de loi ajoute une condition de résidence depuis au moins 5 ans ou une durée d’affiliation d’au moins trois mois au titre d’une activité professionnelle en France pour pouvoir bénéficier d’une aide personnelle au logement[5].

Des restrictions de 5 ans (au titre de la résidence) et de 30 mois (au titre de l’activité professionnelle) sont imposées aux étrangers pour bénéficier des prestations familiales (prestations d’accueil du jeune enfant, allocations familiales, complément familial) et de diverses aides sociales (allocation de soutien familial, allocation de rentrée scolaire, allocation journalière de présence parentale). Il en est de même pour pouvoir bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA).

 

2 – Derrière la loi immigration, il y a des vies humaines

 

La loi du 19 décembre 2023 crée des entraves supplémentaires et discriminatoires dans l’accès au logement ainsi qu’aux prestations sociales pour les personnes étrangères en situation régulière.

Selon la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS), ces dispositions entraineront des conséquences importantes sur la capacité des associations à accompagner des personnes vers un hébergement ou un logement. Elles contribueront également à une augmentation du nombre de sans abris. Avec la remise en cause de l’inconditionnalité de l’hébergement, des personnes, isolées ou en famille avec des enfants, resteront à la rue, en campement ou en squat plutôt que d’être hébergées et accompagnées.

Les conditions restrictives d’accès aux APL vont également menacer le maintien dans le logement de ménages qui bénéficiaient jusqu’alors de ces aides et qui se les verront retirer, créant ainsi des problèmes de solvabilité et une hausse des expulsions locatives. Sans compter que de très nombreux ménages étrangers qui ne bénéficieront plus des APL ne pourront plus accéder à un logement locatif du fait de taux d’effort trop importants. Des étrangers en situation régulière vont ainsi être contraints de vivre comme des sans-papiers, de recourir à des habitats indignes ou aux logements de marchands de sommeil.

Plus généralement, la restriction drastique des aides aux étrangers en situation régulière pour des périodes de 30 mois à 5 ans va jeter dans la pauvreté et la précarité au moins 110 000 personnes dont 30 000 enfants[6]. Qu’adviendra-t-il notamment de ces nombreuses femmes à la tête de familles monoparentales chargées de famille et donc souvent dans l’incapacité d’avoir une activité professionnelle régulière ?

Sans compter que toutes les personnes déboutées du droit d’asile ne pourront plus recourir à un hébergement. Quels seront alors leurs moyens de survie dans une société qui fait pourtant de la fraternité et de la dignité des valeurs fondatrices, aujourd’hui malmenées ?

Plus généralement les dispositions de la loi immigration sont en contradiction avec les politiques de lutte contre le sans-abrisme portées notamment dans le cadre du plan Logement d’abord et avec les politiques de lutte contre la pauvreté inscrites dans le Pacte des solidarités.

 

3 – Cette loi introduit une profonde rupture dans notre système de protection sociale et met en cause nos valeurs républicaines

 

Pour Emmanuelle Cosse, ancienne ministre du Logement et actuelle présidente de l’Union sociale pour l’habitat (USH), cette loi est « une véritable catastrophe morale autant qu’une faute économique et sociale. Concrètement, elle mélange tout. Elle part d’une volonté de réguler l’immigration clandestine pour finalement supprimer aux étrangers vivant de façon régulière sur notre territoire, l’accès à des droits essentiels, comme l’aide au logement et l’ensemble des prestations sociales ». Priver un étranger en situation régulière de ces prestations entre 3 et 60 mois, cela s’appelle la préférence nationale.

Cette loi est fondée sur l’idée fausse, démentie par toutes les études sérieuses, qu’il existerait un « appel d’air[7] » provoqué par notre système de protection sociale. Toutes les mesures qui visent à retarder les prestations sociales pour les étrangers en situation régulière sont mues par cette logique[8].

En voulant lutter contre un risque infondé, elle introduit une rupture dans notre système de protection sociale tel qu’il a été créé en 1945 sur la base des travaux du Conseil national de la résistance. En introduisant une restriction liée à la nationalité pour l’accès à une prestation de sécurité sociale, la loi immigration rompt avec les principes historiques de celle-ci, qui ont instauré un lien direct entre cotisation et affiliation[9]. Chacun cotisant en fonction de ses moyens et bénéficiant d’une prestation à hauteur de ses besoins.

Le texte voté introduit pour les étrangers, hors Union européenne, une période d’exclusion de trois mois à cinq ans dans l’accès aux aides au logement, et de 30 mois à 5 ans dans l’accès aux allocations familiales. Cette dernière mesure, que l’on retrouvait jusqu’ici dans le programme du Rassemblement national, et non dans le programme présidentiel, constitue une rupture avec les principes de l’ordonnance du 4 octobre 1945. Si la loi était appliquée, des personnes affiliées à la Sécurité sociale par leur travail et à ce titre assujetties à la CSG et aux cotisations sociales ne pourraient pas bénéficier de prestations comme l’ensemble des assujettis.

Certes, il existe en France des prestations comme le revenu de solidarité active (RSA) ou la prime d’activité, soumises à une période d’exclusion de 5 ans pour les étrangers résidents. Mais le RSA pas plus que la prime d’activité, ne sont des prestations de sécurité sociale : ce sont de dispositifs d’aide publique financés par le budget de l’État ou des départements. Aucun mécanisme d‘assurance sociale n’a jamais été concerné jusqu’ici par une telle exclusion fondée sur le critère de nationalité. Le fait de cotiser suffisait à garantir l’octroi d’une prestation sociale. On mesure l’ampleur de la rupture opérée par la loi immigration. Cette rupture profonde nous concerne tous, car au-delà des restrictions qu’elle induit pour les étrangers, c’est le caractère universel des prestations qui ne serait plus reconnu.

 

Et pour finir, cette citation de Simone Veil pour appeler à la vigilance et à la mobilisation :

« De petits compromis en petits compromis, on ne sait jamais quand on arrive au pire »

 

[1] Notamment celles qui durcissent le traitement des demandes d’asile, comme les conditions d’accès au titre de séjour ou le regroupement familial, restreignent l’accès à l’aide médicale d’Etat, rétablissent le délit de séjour irrégulier, multiplient les restrictions sur les prestations sociales, facilitent la déchéance de nationalité ou restreignent les critères d’obtention de la nationalité par le droit du sol.

[2] Le principe de l’accueil inconditionnel dans l’hébergement consacré par le code d’action sociale et des familles (CASF) est un droit fondamental.

[3] Défini par l’art. 10-1 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République : liberté, égalité, fraternité et dignité de la personne humaine.

[4] Titre de séjour d’une durée égale ou supérieure à un an ou encore un titre de séjour d’une durée inférieure à un an autorisant son titulaire à exercer une activité professionnelle.

[5] Ces nouvelles conditions ne s’appliquent pas aux étudiants étrangers qui disposent d’un visa.

[6] Selon les estimations du collectif « Nos services publics » publiées le 18 janvier 2024, citées par Politis.

[7] Voir l’argumentaire « Déconstruire le mythe de l’appel d’air » de l’Institut Convergences Migrations qui rassemble près de 700 chercheurs.

[8] La loi est aussi fondée sur l’amalgame discutable entre étranger et danger.

[9] Selon Elvire Guillaud et Michaël Zemmour dans l’article « Le critère de nationalité n’est pas, depuis ses origines, dans le répertoire de la Sécurité sociale » paru dans le journal Le Monde.