Pour Grenoble Alpes Métropole (GAM) il s’agissait de lancer un « nouveau rendez-vous professionnel », s’appuyant sur son « expertise reconnue en matière de politique publique du Logement d’abord » et en tant que « pionnière en matière de rénovation thermique », afin de « dynamiser la réflexion » par des échanges entre une variété d’acteurs ou opérateurs de « la meilleure expertise » s’attachant à « trouver des réponses à la crise du logement ».
Cette haute ambition affichée a-t-elle été tenue ?
Dans son introduction, Christophe Ferrari, président de GAM, a rappelé la part prépondérante accrue du logement dans le budget des Français (28% des dépenses en 2021, contre 20% il y a quelques années), la baisse dramatique de la production spécialement face à l’importance des demandes de logements sociaux (18 000 dans l’agglomération actuellement), dans un contexte macro-économique marqué par l’inflation et la hausse des taux d’intérêt, et sous une politique gouvernementale qui voit le secteur logement comme une source d’économies budgétaires à réaliser.
La gravité de la situation a pourtant été pointée par les travaux du Conseil national de la refondation logement animés par Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre, notamment pour les jeunes de plus en plus rendus à faire partie des populations dites « les plus défavorisées ». L’agglomération grenobloise connaît lourdement cette crise et les enjeux y compris écologiques à affronter par des actions concrètes.
Deux tables rondes ont ensuite structuré les échanges (essentiellement entre leurs participants, très peu avec la salle).
Une urgence sociale
Du fait de sa composition où ne figurait aucun bailleur social HLM, la première s’est concentrée sur les expériences et réponses d’abord apportées au débat par Un Toit Pour Tous dont la présidente, Michelle Daran, a rappelé le rôle spécifique et irremplaçable s’agissant de proposer en diffus des logements très sociaux (PLAI) à bas loyers de 5 euros au mètre carré avec une gestion locative adaptée.
Le rappel des difficultés et colères face à la précarité énergétique et aux charges à payer a été fait par l’association Consommation logement Cadre de vie (CLCV), relevant également le ressenti d’habitants se sentant moins aidés par les collectivités que ceux des QPV (quartiers prioritaires de la politique de la ville).
Au-delà de ces rappels ou constats en fait assez bien connus, c’est en termes d’habitat et de « politique d’habiter » que le sociologue participant nous a invité à penser, à la suite d’une recherche menée sur le Logement d’abord. Il s’agit de dépasser l’approche restreinte au logement. Le logement auquel on accède ne doit pas être la fin, les espaces de socialisation et les « parcours d’habiter » sont essentiels à l’insertion.
En écho ou en prolongement, l’intervenante de la Fondation Abbé Pierre nous a appelé à réviser notre vision de la précarité et la conception « normalisatrice » des exigences mises à l’accession à un logement. C’est notre représentation de la pauvreté qu’il faut interroger, on parle beaucoup de « désocialisation » des personnes qui ont connu l’errance mais n’est-ce pas aussi une autre forme de socialisation qui en émerge car il a bien fallu à ces personnes « tenir », s’en sortir, trouver une force incroyable pour ça. La Fondation Abbé Pierre n’en accorde pas moins une priorité vitale à traiter plus que jamais aujourd’hui l’urgence sociale, la prévention des expulsions, si l’on veut que la politique du Logement d’abord soit réelle, sachant le temps long qu’il va falloir pour sortir par la construction de la crise actuelle du logement.
La faiblesse grandissante de la réponse construction
Réunissant notamment la présidente de l’association des bailleurs sociaux de l’Isère (Absise), le président des promoteurs immobiliers des Alpes, l’adjoint (Habitat/Logement) au maire de Chambéry, la deuxième table ronde a traité essentiellement de la construction, reprenant d’abord le constat de la gravité de la crise : baisse de 36% du nombre de logements vendus (500) sur l’agglomération grenobloise en 2023, poursuite du recul des agréments de construction engagé depuis plusieurs années, spéculations foncières contrastant avec la crise de la demande avec l’exemple de Chambéry où il n’y a plus actuellement de primo-accédants et où deux tiers des demandeurs de logement social sont éligibles au PLAI.
Cette table ronde reflétait combien ce que recouvre le logement social est bien plus large que le logement très social, non seulement par l’ampleur du secteur/mouvement HLM, mais aussi par le fait que selon la présidente d’Absise ce mouvement est aujourd’hui dépendant de la promotion. En effet, la promotion privée, à travers la vente en état futur d’achèvement, représente environ 60% des logements sociaux produits chaque année. Et selon son représentant, il faudrait relancer le débat sur un statut de « bailleur social privé », arguant qu’il y a besoin de fonds privés pour accompagner le logement social.
De son côté le représentant d’Habitat et Humanisme a insisté sur des erreurs anciennes de vision politique de l’État centralisateur ne donnant pas la main au local, niveau adéquat de l’expression des besoins et des réponses à y apporter.
Comment avancer ?
En définitive, quatre pistes ont surtout été dégagées pour avancer vers une sortie de crise :
– accompagner les bailleurs sociaux (collectivités publiques) qui ont été mis en difficulté, entre autres, par la réforme de l’APL ;
– agir sur le foncier pour se saisir de la maîtrise du sol et baisser le prix des logements : par exemple en obtenant que l’État permette aux municipalités de prendre en charge une part plus importante de la taxe sur la plus-value des terrains nus devenus constructibles ;
– accepter une densité de construction plus importante ;
– resolvabiliser les ménages.
En conclusion : un « appel » de Grenoble pour mobiliser
En conclusion de cette matinée, Christophe Ferrari a évoqué un « appel de Grenoble », un texte qui sera finalisé dans les prochaines semaines sur la base des propositions faites par les différents acteurs et intervenants de cette manifestation.
Un texte à portée nationale « en faveur d’une mobilisation générale pour faire face à la crise du logement, qui propose un nouveau modèle de production du logement, qui prenne pleinement le virage de la transition écologique, tout en répondant à la question sociale majeure qui est aujourd’hui posée » (Dauphiné Libéré, 7 novembre 2023). Propositions qui seront soumises au gouvernement et aux parlementaires.
Une nécessité d’élargir le débat
L’importance des travailleurs pauvres parmi les locataires rend incontournable la question de leurs revenus quand on considère la part du coût du logement dans le budget du ménage : travail, salaires… Ces thèmes ont fait figure de grands absents du débat.
Penser en termes « d’habitat » et de quelle « socialisation » renvoie aussi non seulement aux « troubles de voisinage » mais encore aux « émeutes urbaines » dans les grosses agglomérations et leurs banlieues.
Parler de « transitions » en pensant aux questions énergétiques et écologiques rencontre forcément quelque peu les questions de distances entre logements et lieux de travail et de leur maîtrise.
Bien sûr, cela déborde le cadre dans lequel se situait ce premier rendez-vous « logements et transitions », mais l’ambition affichée le mériterait alors peut-être en une autre occasion ou ailleurs.